Moins connu que son cousin japonais le haïku, le pantoun appartient à la même famille des petits poèmes créés pour partager jolies images et belles pensées.

Il fait partie du patrimoine des pays du Nusantara (Malaisie, Singapore, Indonésie, Thaïlande du Sud et Brunei). À ce titre, il a été reconnu comme Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2018 pour sa forme musicale, le Dondang Sayang, et en 2020 pour sa forme poétique, le pantun.

Article publié dans le Petit Journal de Singapour, Kuala Lumpur et Jakarta: Le Pantoun, quatrains imagés et énigmatiques.

Qu’est-ce qu’un Pantoun

Le pantoun est une forme de poésie populaire de l’archipel malayophone. D’origine orale, il s’est codifié au fil des siècles pour arriver à sa forme actuelle vers le XVe. De ses provenances, il a gardé une simplicité et une répétitivité qui cachent ses subtilités.

Sa forme de base est un quatrain à rimes entrecroisées, ab-ab. Les deux premiers vers servent d’exposition, le pembayang - ombre portée en malais. Les suivants révèlent le sens du poème, le maksud - sens en malais; l’imagerie du pantoun s’arrête parfois à la traduction de sa forme…

Plus que ces spécificités techniques, un pantoun se doit d’être imagé et demande aux vers de chaque strophe de prendre vie dans la strophe suivante. L’analogie ainsi créée fait le lien entre le pembayang et le maksud.

Pour illustrer certaines de ces spécificités, le pantoun suivant ouvre le premier chapitre de Malaisie de Henri Fauconnier, prix Goncourt 1930.

Jikalau tidak karna bintang
Masakan bulan terbit tinggi
Jikalau tidak karna abang
Masakan datang adek ke-mari

Si ce n’était pour les étoiles
la lune monterait elle ainsi
Et si ce n’était pas pour toi
serais-je venue jusqu’ici ?

Henri Fauconnier

Le Pantoun aujourd’hui

De nos jours, il s’entend surtout lors de cérémonies traditionnelles Malaises. Par exemple, certains mariages donnent encore lieu à des batailles de Pantoun entre le futur marié et sa belle-famille. Le soupirant devant prouver son amour en laissant les muses le porter vers sa dulcinée.

Il existe aussi des événements le promouvant, comme le Carnival du Pantoun (Pesta Pantun) organisé par la Malay Language Student Society de National University of Singapore (PBMUKS) pour les élèves du secondaire.

Enfin, certains refrains de musique et chansons de réclame Malaises résonnent comme des Pantouns. Son coté imagé, rythmé et répétitif s’y prêtant fort bien. Qui n’a pas eu en tête le slogan de Ricorée, “L’ami du petit-déjeuner”, qui aurait facilement pu être un Pantoun.

Le Pantoun en français ?

Sil a fait une apparition en France fin XVIIIe avec une traduction d’un livre anglais sur Sumatra, c’est Victor Hugo qui l’a fait connaître avec son recueil de poèmes Les Orientales paru en 1829. On doit d’ailleurs l’orthographe fautive « pantoum » à une coquille de son éditeur.

Par la suite, plusieurs écrivains se sont essayés au genre, mais ils ont souvent pris quelques libertés avec sa forme traditionnelle, décrite par le théoricien français du genre, Théodore de Banville. Cela a donné naissance à un nouveau genre poétique, qui a officialisé l’appellation pantoum. Ses plus célèbres représentants sont Gautier, Baudelaire et Verlaine.

Plus récemment, deux Français ont aidé à redéfinir le genre pantoun en France avec de nombreuses traductions plus fidèles. François-René Daillie a été conseiller culturel, traducteur et écrivain. Il travaillera en Malaisie par deux fois et a écrit une étude sur les pantoun malais en 1988. Georges Voisset a été jeune lecteur de français à l’Université de Singapour, et a été le premier à écrire une histoire détaillée du genre pantoun en 1997.

Limau purut limau lelang,
Masak di tepi Pengkalan Rama;
Harimau mati tinggalkan belang,
Orang mati tinggalkan nama.

Citrons sauvages citrons verts
Mûris aux bords du Port Rama
Le tigre mort les rayures restent
L’homme mort le nom restera

Georges Voisset

Dans leur sillage, l’association des Amis Francophones du Pantoun, Pantun Sayang, a été créée en 2012 pour être un lieu de rencontre entre les amateurs francophone de pantoun dans le monde, et promouvoir la connaissance de ce genre poétique et sa créativité.

Si vous en parcourez les éditions passées, vous y trouverez ce pantoun écrit par Catherine Delmas Lett, qui a vécu six ans dans l’état berceau de la culture Malaise, le Terengganu.

atau yang lain bayang-bayang…
tukang warna…
Pelukis penyair…
adalah…

Artistes de l’ombre Artisans des couleurs Peintres et poètes Tous le sont

Catherine Delmas Lett

Enfin, pour le plaisir, un pantoun créé spécialement pour le Petit Journal de Singapour:

Dans l’azur vole le vautour
Dans les bambous se cache le râle
De Mexico à Singapour
Qui ne lit Le Petit Journal

Serge Jardin

* Merci à Serge Jardin, passeur de mémoire et auteur de plusieurs livres sur Malacca et la Malaisie, et Catherine Delmas Lett, artiste et auteur du livre “Au pays des Pantouns”, pour leurs éclairages et corrections.